**Lors de mon dernier article, j’ai parlé des immenses inégalités de richesses qui sont observables dans le monde et comment les paradis fiscaux et les politiques fiscales des dernières années avaient permis un effritement de la classe moyenne et un abandon des plus démunis. Parlons aujourd’hui de solutions à ces problèmes.
Première partie **
Il est important pour moi de dire rapidement que mon article propose des réformes et non pas une révolution. C’est une nuance importante selon moi considérant que je reste convaincu que les bénéfices d’un système capitaliste restent supérieurs aux coûts s’il est bien régulé et que l’on sait canaliser ses forces. Toutefois, il faut se rendre à l’évidence et admettre que les quarante dernières années n’ont pas su mener à la terre promise. Certes, le niveau de pauvreté extrême est en déclin et près d’un milliard de personnes se sont sorties de l’extrême pauvreté dans la dernière décennie1, mais ce déclin en pauvreté, aussi positif soit-il, résulte d’une croissance énorme du PIB qui a doublé depuis 1994. 2
Le problème de pauvreté ne vient donc pas de la croissance qui est déjà forte, mais bien de la redistribution des richesses créées par cette croissance. Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, la libéralisation des mouvements des capitaux a favorisé la création et l’expansion de multinationales extrêmement influentes et cachant leur argent dans des paradis fiscaux. Bien que ces entités se soient enrichies considérablement depuis les quarante dernières années, ça n’a pas empêché les partisans du néo-libéralisme de se dire que des baisses d’impôts sur les entreprises étaient nécessaires pour la survie de ces dernières. Mondialement, la moyenne de taxation sur les entreprises est passée de 49% en 1985 à 24% en 2018 en utilisant l’excuse que cela favorisait les investissements et augmentait la productivité et donc la croissance. 3 En réalité, ces baisses d’impôts ont créé un environnement toxique pour la population et pour l’état providence, créé une course vers le bas et une compétition fiscale pour éviter de perdre d’immenses compagnies qui finissent par ne pas payer leurs impôts et drainer les coffres de l’état en demandant des subventions sous la menace de délocaliser. Grâce à ces sordides manigances, les profits des multinationales sont passés de 4% des profits des compagnies en occident en 1980 à 16% depuis les années 2010. 3 Le poids des services sociaux, autrefois payé plus facilement par les États, devint un fardeau de plus en plus lourd qui était maintenant réparti sur une plus petite population. En somme, les multinationales et les gouvernements qui les ont laissés faire ont transféré le fardeau fiscal aux citoyens et en particulier à la classe moyenne et aux pauvres avec des taxes régressives sur la consommation et des coupures dans les programmes sociaux. Ces mêmes coupures qui aujourd’hui coûtent la vie à nos aînés dans les CHSLD.
#### Mettre fin aux injustices fiscales.
Il faut donc se demander comment sortir de cette spirale inégalitaire qui devient franchement inquiétante. Après les belles années après-guerre où les inégalités étaient en diminution constante, le choc pétrolier et la hausse du mouvement néo-libéral amène avec une hausse vertigineuse des inégalités pour arriver à des niveaux qui n’avaient pas été vus depuis la crise de 1929 et l’avant-première guerre mondiale. 4 Ce qui est triste dans tout ça, c’est que cette spirale est venue après des années d’espoir et de théorie optimiste sur les inégalités qui pensaient que ces dernières suivaient une courbe en U inverse. La fameuse courbe de Kuznets qui théorisait vaguement que les inégalités allaient en diminuant plus un pays s’enrichissait avait plusieurs partisans et était évidemment utilisé comme argument en pleine guerre froide pour attirer et maintenir les pays en développement dans la sphère américaine. Il est toutefois temps de réaliser que cette courbe n’était pas plus qu’un instrument de propagande ou un désir transformé en théorie. La réalité prouve que les inégalités vont systématiquement en augmentant dans un système capitaliste si rien n’est fait et qu’il faut donc mettre en place un système fiscal équitable prévenant l’accumulation de richesse et le manque de redistribution. Une première étape, qui devrait être la moins controversée de ce texte, serait de mettre fin aux paradis fiscaux en réformant la façon d’imposer les entreprises et les particuliers très fortunés. Une idée intéressante serait de taxer les profits des compagnies selon le pourcentage de leurs ventes sur le territoire. Prenons en exemple la compagnie Apple et des chiffres fictifs pour simplifier le tout. Disons qu’Apple fait un profit de 100 milliards de dollars (pas très loin de la réalité) 5 et qu’environ 10% de ses ventes mondiales sont faites au Canada. Peut importe les méthodes comptables et tentative de mettre à l’abri son argent, le Canada pourrait simplement prendre le 10% de ces 100 milliards, imposer cet argent selon le taux aux entreprises et envoyer la facture à Apple. Non seulement il devient beaucoup plus difficile pour les compagnies de tricher, mais ça simplifie énormément le travail des agences de revenus. Il faut évidemment cesser cette tendance à la baisse des taxes sur les entreprises et rééquilibrer le fardeau fiscal pour que les compagnies payent leur juste part, mais on doit aussi mieux encadrer les monopoles et arrêter de donner de l’argent et des subventions aux plus grosses compagnies du pays. Il faudra aussi étudier l’idée de réformer la fiscalité entourant le monde financier. Les taxes sur les transactions boursières que certains proposent semblent une avenue intéressante, mais comme la taxe sur les capitaux, elle devra faire face à plusieurs accusations et à un lobbying constant des plus riches pour son abolition au nom de la croissance.
#### Taxer les riches de façon intelligente.
À entendre plusieurs personnes, il faudrait pratiquement taxer les riches jusqu’à les rendre aussi pauvres que la classe moyenne. Il faut effectivement taxer les plus riches de notre société, mais il faut le faire de manière équitable et efficace. Il ne sert à rien de mettre en place un impôt sur le revenu de 75% sur les plus riches s’ils font de l’évasion fiscale. Je crois qu’il faut d’abord fermer les échappatoires fiscales et mettre en place un mécanisme de taxation qui favorise l’investissement national. Si une personne fait 5 millions de dollars en salaires et en dividende, mais qu’elle investit la moitié de cette somme dans l’économie locale et nationale, ne devrions-nous pas tenter d’encourager de tels comportements? Taxons le rendement de ces investissements et le retrait du capital à la manière d’un REER, mais encourageons les plus fortunées à faire circuler leur richesse plutôt que de simplement vouloir qu’ils donnent tout à l’État. Un équilibre peut être atteint et nous devrions viser un tel équilibre.
Il est important pour moi de noter que plusieurs pays font déjà un travail remarquable sur les inégalités. Les pays scandinaves sont en tête comme d’habitude, mais le Canada et particulièrement le Québec fait un travail intéressant dans un contexte nord-américain ou la compétition fiscale est particulièrement féroce en raison du géant américain qui sombre de plus en plus dans la décadence et l’oligarchie. Il faudra probablement un effort coordonné des plus grands joueurs pour arriver à un résultat véritablement intéressant, mais en attendant, nous pouvons faire de notre mieux et faire pression pour que les choses changent.
- « Apple Gross Profit 2006-2019 | AAPL ». Consulté le 21 avril 2020. https://www.macrotrends.net/stocks/charts/AAPL/apple/gross-profit.
- « GDP (constant 2010 US$) | Data ». Consulté le 18 avril 2020. https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD?view=chart.
- Piketty, Thomas. Le capital au XXIe siècle. Paris: Éditions du Seuil. http://ariane.ulaval.ca/cgi-bin/recherche.cgi?qu=a2329161.
- Stein, Jeff. « Across the Globe, Taxes on Corporations Plummet ». Washington Post. Consulté le 18 avril 2020. https://www.washingtonpost.com/business/2018/07/24/across-globe-taxes-corporations-plummet/.
- Roser, Max, et Esteban Ortiz-Ospina. « Global Extreme Poverty ». Our World in Data, 25 mai 2013. https://ourworldindata.org/extreme-poverty.