**Depuis quelques années maintenant que les partisans de la décroissance se font entendre en utilisant la crise écologique pour faire valoir leur point de vue, mais ils n’auront probablement jamais eu une aussi belle occasion que la pandémie pour en faire la promotion. Vue comme la solution au problème écologique par plusieurs environnementalistes, la décroissance alimente le débat public. Malheureusement, j’ai l’impression qu’elle n’est qu’un mirage pouvant causer énormément de dégâts.
Troisième partie**
Après avoir parlé d’inégalité de la richesse et de revenu universel garanti dans mes précédents articles du Grand dossier sur l’économie, il est l’heure de parler de cette fameuse décroissance. Solution radicale qui gagne en popularité depuis quelques années en raison de l’inaction des dirigeants, la décroissance part sur le principe qu’il faut ramener les niveaux de consommations à des niveaux soutenables pour l’écosystème. Jusque-là, l’idée semble assez consensuelle et même logique, mais c’est lorsqu’on passe de la théorie à la pratique que les choses se corsent. Je n’apprendrai à personne que le système économique actuel est construit autour de la croissance et qu’il faut donc toujours consommer plus pour nourrir la bête, mais qu’arrive-t-il quand on cesse de la nourrir? Qui est touché et surtout, comment faire?
#### Premier dilemme : les pays pauvres.
Prenons un exemple assez extrême pour illustrer la situation. Supposons que nous arrêtons et rendons impossible la croissance économique à partir de maintenant. Deux solutions sont disponibles pour la planète : une répartition des richesses graduelle entre les pays pour justifier cette décroissance aux pays pauvres ou le statu quo condamnant les pays pauvres à rester pauvre. À première vue, la solution est simple il faut répartir les richesses, mais pas si vite! Si l’on prend toute la richesse mondiale et le PIB par habitant des pays et qu’on le répartit de manière uniforme, nous arrivons à un maigre 16 500$ par habitant. Pour avoir une comparaison plus juste, le Québec possède un PIB par habitant ajusté au pouvoir d’achat d’environ 37 000$ et un pays comme les États-Unis 56 000$ environ. 1 Pour atteindre 16 500$ de PIB par habitant, il faut viser le niveau de vie d’un pays comme le Liban ou l’Uruguay. 2 Ce ne sont pas des pays du tiers monde, mais il faut quand même réaliser qu’il devient impossible de financer la plupart de nos services sociaux actuels avec un tel niveau de richesse. Les gens risquent fortement de s’opposer à une diminution aussi drastique de leur niveau de vie qui se traduirait par énormément de chômage et un endettement énorme de l’État. Il n’est pas impossible que les manifestations et le désordre social s’installe. 3 Si la première option n’est pas simple, imaginez la seconde! Comment peut-on justifier éthiquement et moralement d’exiger aux pays pauvres de rester pauvres et ne jamais aspirer à vivre un niveau de vie similaire au nôtre? C’est non seulement de très mauvais goût, mais c’est aussi impossible que ces pays acceptent. La décroissance doit donc répondre à un sérieux problème dès le début.
#### Qui sera touché en premier?
Si les partisans de la décroissance parlent souvent de la croissance comme d’une machine à inégalités, je peine à voir comment la décroissance vient régler ce phénomène. Certes, lorsqu’il y a croissance, la richesse n’est pas générée de manière égale, mais rien ne prouve que la richesse qui disparaît le fait de manière égale. Il me semble douteux que ce soit le cas, car les premiers à perdre leurs emplois en situation de décroissance sont, règle générale, les plus pauvres, les moins éduqués et les plus vulnérables. Pas les riches hommes d’affaires, les médecins et autres membres plus fortunés de la société. Est-il éthique de faire porter le fardeau de la crise écologique sur ces gens qui ont pourtant été ceux contribuant le moins à cette dernière? Ironiquement, en raison de la décroissance et de la diminution des recettes de l’état, l’environnement pourrait être une victime de la décroissance. Difficile de faire respecter ses normes environnementales sans inspecteurs, d’éduquer les gens sur les impacts écologiques de leurs choix sans un système d’éducation robuste et de fournir des transports collectifs attirants pour éviter l’utilisation de l’automobile. Ne parlons plus d’auto électrique non plus, car sans les subventions et avec une réduction drastique du revenu, l’industrie mourait rapidement.
#### Quelle alternative alors?
Effectivement, il faut tout de même changer les choses, car le rythme actuel nous mène directement vers la catastrophe. Une option raisonnable serait simplement de réduire la croissance, mais surtout de modifier sa teneur. Je m’explique, la croissance actuelle est construite autour de la surconsommation, de l’obsolescence programmée et d’un commerce international ultra mondialisé et spécialisé. Ce sont des facettes de l’économie qui se modifient avec une bonne dose de courage et de la volonté politique. Favoriser une croissance basée sur la consommation de biens durables et leur entretien, sur un commerce local et de proximité et sur la consommation de biens culturels et de divertissements pourrait changer la donne totalement. En ralentissant la croissance et en transformant l’économie pour qu’elle soit plus compatible avec la réalité environnementale, on permet le maintien de services sociaux essentiels, d’un filet social et la capacité d’investir dans de grands travaux qui pourraient être nécessaires en raison des changements climatiques. Évidemment, pour changer ces facettes de l’économie, il faut des réformes légales et économiques rendant l’alternative écologique plus rentable. En termes économiques, il faut intérioriser les coûts de la pollution, de la surconsommation et de l’obsolescence programmée pour les rendre économiquement non viables. De cette manière, il est possible de continuer de créer de la richesse pour tous, de la redistribuer de manière plus équitable et permettre à des milliards de gens de sortir de la pauvreté sans que cela ruine les efforts environnementaux.
Bref, la décroissance est une idée qui peut être séduisante en théorie, mais elle devient rapidement complexe et difficilement envisageable tant du point de vue réaliste qu’éthique en raison de ses implications et de ses effets. Il ne faut toutefois pas être dupe et se dire que le système dans son état actuel est capable de prévenir la crise. Les 30 dernières années ont prouvé hors de tout doute raisonnable que ce n’est pas le cas et il est maintenant urgent d’agir pour éviter le pire. Des réformes doivent avoir lieu, mais il faut se méfier des révolutions, car elles ont tendance à détruire plus que ce qu’elles créent et à devenir ce qu’elles cherchent à combattre.
- « La décroissance économique : véritable solution aux problèmes de société? – Relations médias – Université de Sherbrooke ». Consulté le 19 mai 2020. https://www.usherbrooke.ca/relations-medias/specialistes/point-de-vue-expert/la-decroissance-economique-veritable-solution-aux-problemes-de-societe/.
- Nouvelles, T. V. A. « PIB par habitant : le Québec au 32e rang mondial ». Le Journal de Montréal. Consulté le 19 mai 2020. https://www.journaldemontreal.com/2016/12/08/pib-par-habitant–le-quebec-au-32e-rang-mondial.
- « PIB par habitant ($ US courants) | Data ». Consulté le 19 mai 2020. https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.PCAP.CD.