Le fou qui se voulait Roi

**S’il y a bien un jeu que j’ai toujours adoré comparer à la politique, ce sont les échecs. Un jeu où il faut être à l’affût des mouvements de son adversaire, prévoir nos prochains coups et celui de notre rival et optimiser le temps, l’espace et nos ressources pour l’emporter.**

Évidemment, personne ne suit mes chroniques pour mes stratégies aux échecs, mais il n’empêche qu’à l’écoute du premier débat de la course à la chefferie du Parti Québécois, je n’ai pas pu m’empêcher de tracer certains parallèles. En observant Guy Nantel sur la scène, cherchant à diminuer le parti qu’il veut diriger, à rabaisser les autres candidats et leur implication, à insinuer que les autres candidats auraient volé ses idées et sa plateforme alors qu’il a dévoilé celle-ci quelques jours avant le débat, j’y ai vu un fou se voulant Roi.
Le débat était médiocre, les questions insipides et beaucoup trop précises, évinçant l’enjeu fondamental qui devrait être au cœur cette course : comment remettre la question nationale de l’avant et faire augmenter les appuis à l’indépendance? Néanmoins, certains candidats ont su sortir du lot. Frédéric Bastien s’est bien tiré d’un débat dans lequel il était le seul à ne pas prôner un référendum rapide, Paul St-Pierre Plamondon a réussi à montrer son sens de la réparti et promouvoir son plus récent livre, et Sylvain Gaudreault à réussi à conserver son image du parlementaire expérimenté qui ne se laisse pas ébranler facilement. Le seul moment où il a paru sortir de sa zone de confort est lorsque Guy Nantel s’est amusé à dénigrer les rassemblements d’été du parti en disant « vous étiez huit à vos rassemblements à prendre des photos. » Passons outre le fait que cette affirmation est complètement fausse et décrédibilise le parti sur la plus grande plateforme médiatique depuis les trois derniers mois, il n’en était pas moins choquant de voir Guy Nantel traiter Sylvain Gaudreault de menteur sur le nombre de spectateurs présents à son lancement à Jonquière. Cette attitude cavalière semble être la stratégie de l’humoriste, qui a lancé à Frédéric Bastien qu’il aurait l’air « d’un poulet devant le colonel Sanders » s’il en venait à négocier des modifications constitutionnelles avec le Canada. Bref, Guy Nantel utilise une stratégie agressive, typique des candidats voulant se forger une image d’« outsider » et cherchant le clip et la couverture médiatique la plus grande.
#### Le coût de cette stratégie.
Cette stratégie s’est avérée payante pour plusieurs candidats dans le passé : Donald Trump, Nigel Farage, Jean-Luc Mélanchon, Bernie Sanders et bien d’autres, tant à gauche qu’à droite. Toutefois, cette stratégie vient avec un coût : la crédibilité du parti et des instances démocratiques. Dans le cas de Donald Trump, il serait de mauvais goût de ma part de comparer Nantel à ce dernier, mais prenons quand même l’impact que la stratégie « d’outsider » a pu avoir sur la santé des institutions démocratiques américaines et sur le Parti Républicain. Quant à Farage, sa stratégie aura divisé le Parti Conservateur au point qu’il a fini par quitter, fonder son parti et mettre l’ex-cheffe sur la sellette. Quant à Melanchon, il sert de catalyseur et encourage en quelque sorte le cynisme envers la cinquième république. Finalement, Sanders, le candidat le plus similaire à Nantel si je devais le comparer à l’un des quatre nommés plus haut. Sa candidature en 2016 et 2020 aura réduit considérablement l’opinion publique envers le Parti Démocrate et envers le candidat nominé au point ou il n’est pas insolite de croire que Donald Trump n’aurait pas pu obtenir le pouvoir sans le cynisme et la perte d’opinion de certains membres du Parti Démocrate envers leur parti et leur nominé. En somme, cette stratégie est payante pour l’individu, mais ces gains se font sur le dos des institutions, du parti sur lequel ces candidats veulent régner. Dans la situation actuelle du PQ, cette stratégie pourrait être une véritable mise à mort et achever l’idée d’une coalition pour l’indépendance. On le voit déjà avec cette méfiance nouvelle envers « l’establishment » péquiste et cette rhétorique du sauveur que plusieurs candidats tentent d’endosser.
#### La politique ne doit pas devenir une télé-réalité.
Ce jugement envers Guy Nantel n’est aucunement lié à son métier, même si le titre de cette chronique s’en inspire, mais bien envers les manœuvres qu’il déploie dans le cadre de la course à la chefferie. Sa stratégie de ne pas révéler sa plateforme pendant l’été, de ne pas participer aux événements et assemblées territoriales et de ne pas répondre aux questions des médias sur des enjeux importants était mauvaise pour la santé du parti et de la course. La politique ne devrait pas chercher à générer des clics et des visionnements sur YouTube, elle devrait tenter de faire avancer la société et de mobiliser les gens vers un objectif commun. C’est encore plus vrai pour le PQ, qui est un parti prônant l’indépendance du Québec. Pour la santé du PQ, mais aussi de l’idée d’indépendance, Guy Nantel doit faire preuve de prudence dans ses communications et dans sa stratégie de campagne. J’espère me tromper dans mon jugement et qu’il puisse faire des gains, sans qu’ils soient aux dépens du parti.

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