14 ans comme député et toujours le feu sacré

**Sylvain Gaudreault est député de Jonquière depuis le 26 mars 2007. Cinq élections, 18 mois au pouvoir et une course à la chefferie plus tard, il s’ouvre sur ce qui l’anime et lui donne l’énergie de se lever chaque matin et prendre la parole au salon bleu.**

Au départ, j’ai voulu en apprendre plus sur l’homme et le député, 14 ans à représenter Jonquière et les Québécois, ce n’est pas rien tout de même. Plusieurs leçons, des rencontres formatrices, mais aussi la possibilité de changer les choses, d’aider les gens.

**Sylvain, on te connait maintenant en tant que député de Jonquière depuis bientôt 14 ans. Tu en es à ton 5e mandat et tu as vu passer Jean Charest, Pauline Marois, Philippe Couillard et maintenant François Legault à la tête du Québec. En 14 ans de service pour ta circonscription, qu’est-ce qui t’a le plus marqué dans l’arène politique?
SG :**

Le travail direct auprès des gens, la différence qu’on peut faire pour les gens qui viennent nous voir, c’est là qu’on a l’impact le plus concret, le service immédiat aux citoyens. L’autre élément, c’est les changements qu’on est capable d’apporter à l’échelle du Québec, qui sont plus fragile parfois, avec les changements de gouvernement. Des fois des décisions sont prises, les nouveaux gouvernements les annulent les changent, c’est éphémère. Le 3e élément, c’est que ça apporte une très fine connaissance du Québec de l’administration publique et la force de l’État Québécois.

**Sur ces 14 ans en tant que député, tu n’as malheureusement pas souvent été au pouvoir, seulement 18 mois en fait, sous le gouvernement minoritaire de Pauline Marois. Est-ce que c’est une source de regret, de frustration parfois?
SG :**

Oui, je peux l’affirmer. Des regrets pas vraiment, on n’a pas un contrôle là-dessus, c’est la population qui décide. Les regrets pour moi c’est plus sur nos décisions personnelles, mais plus de la frustration, le temps que j’ai été ministre j’ai beaucoup aimé l’exercice du pouvoir, pas juste pour le pouvoir, mais parce qu’on pouvait changer les choses. J’aurais aimé que ça continue, mais les électeurs ont décidé autrement… Je sens que j’aurais été meilleur, comme ministre, comme membre de l’exécutif, avec le temps et l’expérience. Je sens que j’aurais pu en faire plus et être vraiment bon si la population nous avait donné plus de temps.

**Depuis ton arrivée comme député du PQ, tu as eu la chance de travailler avec plusieurs personnes respectées dans le mouvement indépendantiste. Qui t’a le plus appris lorsque tu es arrivé dans le caucus?
SG :**

Ben c’est sûr que c’est madame Marois qui m’a le plus appris et marqué! Elle arrive au sommet des personnes ayant eu la plus grande influence politique. Sinon, François Gendron, Stéphane Bédard, ce sont des gens qui m’ont beaucoup marqué dans mon parcours politique.

*Évidemment, l’engagement politique de Sylvain date de bien avant son élection, lors de la plus récente course à la chefferie, il mentionnait souvent qu’il était militant pour le Parti Québécois depuis 32 ans. C’est long 32 ans, 9 ans de plus que toute ma vie au moment d’écrire ces lignes. Essayez de vous souvenir où vous étiez il y a 32 ans, où était le Québec. On revient un peu là-dessus avec Sylvain.*

**14 ans comme député, 32 ans comme militant, tu as traversé l’euphorie référendaire, le lendemain de veille qui a suivi et maintenant la traversée du désert. Comment fais-tu pour garder le feu sacré allumé?
SG :**

Je dirais deux choses, c’est d’ailleurs un des éléments que je trouve difficile avec la pandémie, on en revient au soutien aux citoyens. Le contact avec la population, c’est mon carburant, les résultats concrets ça me donne l’énergie pour continuer. Ensuite je te dirais, les convictions, je suis en politique parce que je crois en l’indépendance, la justice sociale et faire le maximum pour lutter contre les changements climatiques. On ne se le cachera pas dernièrement, c’est plus difficile. Dans ce temps-là ma réaction c’est de me concentrer sur mon travail.

*La fameuse chefferie, une course qui s’est transformée en marathon dans des conditions très difficiles. Avec un résultat décevant pour le député de Jonquière qui a terminé 2e avec 44% des voix. Il faut se rappeler que le résultat devait être connu le 19 juin 2020 initialement. Il ne sera dévoilé que le 9 octobre après 8 mois de campagne en pleine pandémie, une interruption de 2 mois et une couverture médiatique bien moindre en raison du monopole de la pandémie.*

**J’imagine que ce feu sacré a dû prendre un coup de vent lors de la dernière année. Est-ce que tu dirais que 2020 a été ton année la plus difficile politiquement?
SG :**

C’est une des plus difficile politiquement, c’est l’année des extrêmes certainement. Pour moi la défaite à la chefferie, ensuite la pandémie, les morts, les malades, le confinement tout est arrêté. En même temps, l’autre extrême, pendant la chefferie j’ai rencontré plein de gens, un réseau de contacts, j’ai pu avancer mes idées comme je n’aurais jamais pu, comme un artiste avec sa peinture. Une magnifique opportunité, du côté de la pandémie on a réglé des problèmes au jour le jour, des parents mourants et les enfants n’ayant pas accès, mais on a réussi à leur accorder ce droit-là, c’est touchant. On se sent utile, on aide directement les gens.

**Comment as-tu réagi à ce résultat? Tu as été bon joueur, mais en ton for intérieur est-ce que tu as été vexé par ce résultat? As-tu senti un rejet, une trahison ou simplement l’impression que les gens sous-estimaient ton implication pour le PQ?
SG :**

Ben je me suis senti comment je pourrais dire, je n’ai pas de regret, car j’ai fait le maximum, si je ne m’étais pas présenté, là j’aurais des regrets. Sur le fond des choses, je n’ai pas de regrets. Comment je me suis senti… Comme un vide, c’est sûr que, moi je n’ai pas fait de théâtre, j’y suis allé avec mon cœur et mes valeurs. Je pense qu’il y avait des bonnes différences donc il faut que je m’adapte au choix des membres et que je travaille dans ce sens-là.

**Tu n’as aucun regret, mais tu sembles dire qu’il n’y a pas que du négatif. Quel serait le point positif de cette course pour toi?
SG :**

Le point le plus positif c’est l’équipe. L’équipe qu’on avait, l’ambiance, la relation de confiance je suis sûr que personne n’avait ça. L’équipe était extraordinaire, les contributions, le soutien de plusieurs militants et des jeunes. Ça m’a nourri, les documents préparés, les jeunes qui gravitaient autour de moi, les propositions qu’on m’apportait. Évidemment, ceux qui m’ont aidé à me préparer pour les débats : Dereck, Denise, Sébastien, Vincent, Michael, le noyau le plus actif c’était incroyable.

*N’empêche, après 14 ans comme député, beaucoup de défaites crève-cœur, une année 2020 très difficile, Sylvain semble encore trouver la force et l’énergie pour être l’un des députés les plus actifs et respectés.*

**Après 14 ans dans l’arène, qu’est-ce qui te motive à te lever chaque matin et à mettre les heures et le travail comme tu le fais?
SG :**

Écoute, ça revient un peu à ce que je disais plus tôt, savoir qu’on peut faire la différence et les convictions, mais parfois c’est plus difficile. Reste que je sais que des gens attendent après moi, ils ont besoin de l’aide du député, j’ai aussi eu 44% du vote, ces gens-là ont eu confiance et je ne veux pas les décevoir ça me stimule. C’est un électrochoc pour se lever le matin.

*Avec une telle expérience, j’en ai profité pour demander quelques conseils à un vieux routier. Des conseils qui pourront sûrement résonner chez plusieurs jeunes intéressés par la politique, curieux devant l’arène, mais n’osant pas franchir le cadre de la porte.*

**Quel conseil aimerais-tu donner aux jeunes qui regardent la politique, mais qui ne se sentent pas interpellés? Ou à ceux qui pensent se présenter, mais qui ne sont pas certains?
SG :**

D’avoir confiance et d’être naturel. Ça ne s’apprend pas être député! Il n’y a pas un bac pour être député, tu ne peux pas juste prendre un cours et voilà tu es un bon député! Tu apprends sur le tas, tu fais des erreurs, ça prend des gens de partout, de tous les horizons pour être représentatif de la population. Ça prend des hommes, des femmes, des avocats, médecins, coiffeuses, vendeurs, etc. Si on veut être représentatif de la population du Québec, ça prend des gens d’un peu partout, villes et régions.

On plonge, puis à partir du moment où tu émets une opinion, tu fais de la politique, les gens qui disent, ah je ne connais pas ça, mais les gens qui disent leur opinion, par exemple sur le déconfinement des sports, eh bien c’est une opinion politique, ça dédramatise l’action politique, les gens qui voient ça trop gros et inaccessible, bah non c’est à ma hauteur, c’est aussi pour moi. Faut trouver le moyen ensuite comment livrer la marchandise, mais ça on l’apprend.

*14 ans en comme député, 5 législatures, une quantité probablement incalculable de motions, de projets de loi, d’amendement, d’intervention dans les médias et la circonscription. Quand on y pense, c’est énorme, mais je me suis demandé si un moment en particulier était cher à Sylvain.*

**Le Québec a beaucoup changé depuis ton arrivée en politique, as-tu un moment ou un projet de loi auquel tu as participé et qui te fait dire “J’ai participé à forger le Québec”
SG :**

Ah oui c’est clair, plein, mon fameux transfert du milliard du transport routier au transport collectif, la loi sur l’économie sociale que j’ai fait adopter, parfois des amendements. Regarde avant les fêtes, j’ai fait adopter des amendements pour faire en sorte que les sols contaminés soient traités et enfouis au Québec plutôt qu’exporter. Il y a des actions plus importantes et plus symboliques. Le mois de juin comme mois de l’eau, c’est symbolique, mais c’est une action que j’ai posée et qui est fondamentale! Dans ma circonscription, j’ai fait redessiner une route qui était dangereuse pour les enfants et qui causait des accidents. Quand j’ai aidé des travailleurs fraudés par un collègue qui se faisait passer pour un conseiller financier à se faire indemniser par l’AMF en changeant la loi, puisque leur réclamation n’était pas reconnue. C’est assez technique, mais en gros, la date pour réclamer était dépassée et ils ne pouvaient pas être indemnisés. La loi était mauvaise et ça faisait longtemps qu’on en parlait à l’AMF qu’il faudrait donc la changer et qu’il y avait une mauvaise interprétation de la loi. On l’a changée rétroactivement pour les indemniser. J’ai fait agrandir un centre de formation professionnelle dans ma circonscription, il manquait d’espace et on l’a agrandi. Ça faisait longtemps que le projet, la commission scolaire le portait, et aujourd’hui c’est un centre à la fine pointe de la technologie.

*Depuis quelques années, Sylvain est l’un des députés les plus actifs et vocal sur le sujet des changements climatiques. Lors de la course à la chefferie, il avait fait de l’environnement un des fers de lance de sa campagne. Faire du Québec un leader vert mondialement disait-il. Pourquoi donc? Il n’est pourtant pas issu de cette génération ayant grandi dans le contexte de la crise climatique.*

**Parlant de forger le Québec, on sent que ta priorité depuis quelques années, outre l’indépendance, c’est l’environnement, la crise climatique. On sent que c’est ton combat, ce que tu veux offrir comme legs politique. Qu’est-ce qui a causé le déclic chez toi?
SG :**

J’ai toujours été préoccupé, mais quand j’ai été ministre des Transports en 2013, le GIEC a dévoilé un rapport frappant. Un rapport interpellant les élus en disant qu’il fallait agir parce qu’on allait dans le mur. À l’époque les gens remettaient encore le rôle de l’humain dans les changements climatiques en jeu, là c’était clair et je me suis dit « je suis ministre, je suis concerné, j’occupe un poste crucial ». Je ne peux pas rester insensible, nos actions touchent les générations futures. Je ne sais pas quand je vais quitter la politique, mais quand je serai vieux je veux pouvoir dire « moi pour l’environnement j’ai tout fait cibole! » Je vais pouvoir me regarder fièrement dans le miroir, surtout sur ce sujet-là.

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