Quand la productivité a le dos large

**Je suis le premier à le reconnaître, le Québec et le Canada ont de sérieux problèmes de productivités. Un enjeu économique très important, mais il faut vraiment être de mauvaise foi pour utiliser cette excuse lorsque vient le temps d’établir un jour férié pour la réconciliation avec les autochtones.**

Cette réponse, gracieuseté de notre premier ministre François Legault m’a fait sursauter. Monsieur Legault est un homme d’affaires, il est entouré de gens intelligents et son gouvernement est très performant dans les communications. Se mettre le pied dans la bouche de manière aussi formidable, sur une question aussi bancale relève presque du miracle pour ses opposants. Entendons-nous, ça ne changera pas le prochain gouvernement, mais c’est le genre de déclaration qui peut faire du kilométrage longtemps avec les partis d’oppositions.

N’empêche, la productivité est effectivement médiocre au Québec me direz-vous. Certainement, lorsqu’on compare nos gains en productivité aux pays de l’OCDE, nous faisons figure d’enfants pauvres, mais cette situation ne date pas d’hier. Elle est présente depuis les années 70 et ne s’est jamais vraiment améliorée, peu importe les gouvernements successifs, le plein emploi, les crises économiques, les plans de relances, etc. Lucien Bouchard avait tendance à blâmer cette réalité sur la « paresse » des Québécois. On ne travaillait pas assez selon lui…

#### C’est quoi la productivité?

Pourtant, c’est de simplifier grandement un problème qui est tout sauf simple. La productivité, c’est quoi? C’est la valeur ajoutée par heure travaillée. Pourquoi est-ce que la productivité est aussi importante? Parce que c’est l’un des trois leviers pour créer de la richesse et augmenter notre niveau de vie.

Pour augmenter le niveau de vie d’une population, trois options s’offrent à ses dirigeants : travailler plus efficacement par heure travaillée (productivité), travailler plus longtemps en augmentant les heures travaillées (intensité du travail) et finalement, créer plus d’emplois (taux global d’emploi). On l’a vu plus haut, Lucien Bouchard et François Legault comprennent manifestement le levier de l’intensité du travail, mais ce levier n’est pas le bon.

Le vrai problème n’est pas l’intensité du travail, ou même notre taux d’emploi, c’est que dans les heures que nous travaillons, avec les emplois que nous avons, nous n’ajoutons pas suffisamment de valeur! Un jour férié de plus ou de moins ne change strictement rien à cette situation et dire l’inverse est de la malhonnêteté intellectuelle.

#### D’où vient le problème alors?

Le problème notoire du Québec et du Canada est le manque d’investissement. Que ce soient les investissements dans la machinerie, la formation des employés, le système d’éducation. Le Québec et le Canada trainent de la patte. Il suffit de penser à la lente transition des entreprises québécoises sur le web. Alors que les entreprises les plus riches et les plus influentes font affaire sur le web, le Québec peine à offrir une option locale. La seule entreprise québécoise qui semble essayer de rivaliser est Québecor. Ne parlons même pas du panier bleu svp.

Ensuite vient le problème de la formation de la main-d’œuvre. Dans un monde en constante évolution, il est important pour les entreprises et leurs employés d’être à jour. C’est encore plus vrai lorsqu’on sait que le Québec est une nation dépendante de l’exportation et donc en compétition directe avec le reste du monde!

Maintenant que le secteur privé s’est fait savonner, permettez-moi de critiquer notre bon gouvernement.

Il est honteux de voir que l’éducation a été considérée comme une dépense plutôt qu’un investissement. La réalité est que notre économie, qu’on le veuille ou non, est devenue une économie mondialisée. Elle a déplacé les emplois à faible valeur ajoutée dans les pays avec une forte intensité de la main-d’œuvre, placé les emplois à haute valeur ajoutée dans les pays avec la plus forte productivité.

Informatique, pharmaceutique, électronique, automobile, robotique, etc. Ces industries, par leur nature, sont des industries à haute valeur ajoutée. Il faut donc de très gros investissements en capital physique (machine, ordinateurs, etc.), mais aussi des employés capables d’augmenter drastiquement la valeur des biens et services produits. Pour cela, il faut des employés fortement éduqués, formés et spécialisés.

Ce n’est pas avec une population à 55% analphabète fonctionnelle, des écoles avec du plomb dans l’eau et des classes à 32 élèves que le Québec deviendra plus prospère. Peut-être qu’il atteindra le mythique déficit zéro, mais si le prix pour atteindre le déficit zéro maintenant est d’être plus pauvre dans le futur, à qui donc sert cette vision de petit gestionnaire du dimanche ?!

#### Diagnostic docteur?

Je crains bien que le Québec souffre d’un manque de vision à long terme chronique. Effrayé par les grands projets et par toute forme d’ambition, le Québec s’est recroquevillé sur lui-même. Devant les politiciens agitant l’épouvantail de la dette et du déficit, le Québec s’est mis à sous-investir, à ne plus prendre de risque. Le résultat est sans appel. L’État occupe maintenant une part significative de notre économie, mais n’investit pas autant dans sa population que les autres États occupant une place similaire. Le Québec est simplement devenu plus pauvre parce qu’il ne voulait pas dépenser et investir.

J’ai donc un malaise quand j’entends le premier ministre dire qu’il ne peut pas, ne veut pas ajouter un congé férié pour les peuples autochtones et la réconciliation pour des raisons de productivités. Non seulement il sait que c’est un mensonge, mais il sait que plusieurs vont le croire. Il préfère cacher l’échec du milieu des affaires et du gouvernement et continuer le mythe que c’est la faute des travailleurs et des contribuables si le Québec s’appauvrit.

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