Daniel Breton : précurseur d’un nouveau paradigme

**Daniel Breton est surtout connu au Québec pour son rôle d’environnementaliste, chroniqueur et son court mandat comme ministre de l’Environnement et du Développement durable sous le gouvernement péquiste de Pauline Marois. Il est désormais président et directeur général chez Mobilité électrique Canada.**

**Monsieur Breton, vous êtes reconnu au Québec comme une référence dans le transport électrique et la mobilité durable, vous êtes le premier chroniqueur spécialisé en véhicule vert au Canada et vous faites de l’électrification des transports votre combat quotidien. D’où vient cette passion et cet engagement?
DB :**

Oh très simplement, si on recule dans le temps, quand j’étais jeune j’ai grandi à côté des raffineries à Tétreaultville. Dans ma jeunesse j’ai vu des incendies, des déversements, des explosions de camions-citernes. Ça marque une enfance, sinon plus tard quand je faisais dans mon adolescence de la planche à voile, je devais essuyer ma planche après avoir passé dans les algues dans l’est de Montréal, il y avait une couche de pétrole brute sur ma planche, parce qu’il y avait des déversements de pétrole brut dans le fleuve Saint-Laurent.

Sinon en 1974, j’ai suivi mes cours en environnement, c’était l’époque de la première crise du pétrole. Les gens faisaient la file pour avoir du pétrole. À cette époque-là, l’EPA avait été créé aux États-Unis, on réfléchissait comment réduire la pollution atmosphérique et réduire la dépendance au pétrole. On ne parlait pas encore de réchauffement climatique à l’époque.

Tout ça pour dire, je me suis intéressé à la transition qu’on devrait faire avec des véhicules moins polluants. À l’époque on parlait beaucoup plus de voitures à l’hydrogène, je me souviens qu’on en parlait dans mes cours d’écologie en 74. Lorsque je suis arrivé à l’université au début des années 80, j’étais en relations internationales, je me suis intéressé aux enjeux géopolitiques de l’énergie. C’est à partir de là que je me suis demandé comment on pourrait être moins vulnérable aux variations du marché de l’énergie. Juste au bon moment pour le 2e choc pétrolier.

J’avais posé la question à quelqu’un qui venait nous voir pour les relations internationales. Cette personne-là m’avait répondu de manière polie, mais assez claire, qu’il faudrait trouver une façon de remettre ces pays-là à leur place. Cette personne-là, c’était Robert Bourassa… J’avais été assez estomaqué par sa réponse.

Tout ça m’a mené à un retour à l’université au début des années 2000 pour suivre des cours en environnement et communications, j’avais aidé à partir le Parti vert du Québec à l’époque. En 2003, j’ai reçu un appel d’un médium s’appelant auto 123 qui cherchait quelqu’un connaissant les autos et l’environnement. À l’époque j’étais à peu près le seul. Les gens aimant les autos ne parlaient pas d’environnement, les personnes parlant d’environnement détestaient les autos. Ensuite je me suis retrouvé au Devoir et à Radio-Canada, puis j’ai écrit mon livre Maître chez nous au 21e siècle. Mon engagement au Parti Québécois ensuite, je me disais transition énergétique et électrification des transports ça va de pair. Ça facilite une indépendance énergétique qui à son tour facilite l’indépendance politique. Je l’ai souvent dit, si on accélère notre indépendance énergétique on accélère notre accès à l’indépendance politique.

**Pour un passionné comme vous d’automobile et de mobilité électrique, la période actuelle doit être palpitante. Meilleure autonomie, coût toujours plus bas, performance hallucinante chez certaines compagnies. Est-ce que nous avons atteint le point de bascule entre l’électrique et le bon vieux moteur à essence?
DB :**

Non, mais on est proche. Oui je m’intéresse à l’automobile, mais je m’intéresse au transport en général et je peux vous dire que d’un point de vue technologique ça avance vite. Puis il y a une annonce que j’ai surnommée affectueusement le massacre de la Saint-Valentin électrique où Chevrolet annonçait que sa Bolt verrait le coût de la voiture abaissé de 7000$. On a donc une voiture avec 417km d’autonomie et un prix de 38 000$. Avec les rabais gouvernementaux, on se retrouve avec une voiture électrique moins chère qu’une Toyota Corolla de base. Évidemment, ça force la main et met sur la défensive les autres constructeurs, je m’attends à une baisse des prix des autos d’entrée de gamme électrique. Il faut se mettre en contexte, en 2012, si on enlève les Tesla, l’autonomie moyenne des voitures électriques était de 110Km, en 2016 l’autonomie d’une voiture non-Tesla c’était 150km. Aujourd’hui une voiture électrique non-Tesla possède 400 km d’autonomie. Ça a augmenté de façon exponentielle. On prend par exemple la Nissan Leaf, en 2012 elle était 38 000$ avec 160km, en 2021 elle va coûter 38 000$ pour 400Km d’autonomie. Le temps de recharge est passé en 2012 de 4 à 5h pour faire 100 km, puis là on parle de 20 minutes pour faire 400 km dans les systèmes plus performants.

Les arguments d’autonomie, de temps de recharge sont en train de fondre comme neige au soleil! Bref, ça évolue vite, d’ici 2024 ou 2025, les voitures électriques devraient arriver à un prix paritaire sans les rabais gouvernementaux. Le prix des batteries va diminuer, le prix des voitures à essence augmente continuellement, quand on commence à inclure le prix de l’essence sur 4 à 5 ans c’est évident. D’ici 3 ans ou 4 ans, le point de bascule va être atteint, certains vont vouloir garder leur voiture à essence, soit par désir ou par contexte exceptionnel.

**On entend plusieurs fausses informations entourant les voitures électriques, lesquelles vous hérissent le plus le poil sur les bras?
DB :**

On entend souvent que les voitures électriques sont faites pour et vendues presque exclusivement à Montréal et Québec, alors que c’est faux. Pour une raison bien simple, bien plus facile de recharger ta voiture dans ton entrée de garage en banlieue comparé à un Montréalais qui n’a pas de stationnement.

Sinon celle qui me fait le plus capoter c’est celle qui dit que les voitures électriques polluent plus que les voitures à essence. C’est faux, j’en fais la démonstration depuis des années. Parce que des journalistes peu rigoureux, peu importe le média, j’ai vu ça dans tous les médias, des informations fausses propagées par des journalistes qui ne se sont pas bien informés. Je suis estomaqué par des journalistes qui vont préférer faire leur petite recherche plutôt que de parler aux spécialistes. Ça fait presque 20 ans que je fais ça, ce n’est pas compliqué, prend le téléphone appelle moi! J’ai écrit des livres là-dessus! Ça, c’est sûr que les gens qui sont des opposants aux VÉ utilisent ces articles-là pour alimenter leur opposition.

À la fin de 2018 ou 2019, j’ai écrit un texte dans le Devoir cosigné par plusieurs spécialistes de la mobilité électrique pour dire qu’il faut arrêter de dire des âneries. La voiture électrique n’est pas la solution, mais elle fait partie de la solution.

**Malgré cela, le Québec semble un terreau particulièrement fertile pour les autos électriques et hybrides, les compagnies s’en rendent d’ailleurs compte. Pourquoi sommes-nous si friands de ces voitures électriques?
DB :**

Je pense que d’abord, cette première vraie conversation sur les véhicules électriques a eu lieu pendant le mandat de madame Marois. Avec moi, Martine Ouellet et Sylvain Gaudreault, on a poussé pour ça, on avait la stratégie la plus ambitieuse en Amérique du Nord. Je pense qu’on a réussi à créer une fierté sur le fait qu’on serait des leaders environnementaux, ça s’est imbriqué dans le nationalisme hydro-québécois. Je pense que c’est parti d’une volonté politique.

**Dans une récente entrevue avec RPM, vous avez discuté du plan d’économie verte du Québec. Notamment le but du gouvernement d’avoir 100% des véhicules vendus en 2035 à zéro émission. Un objectif ambitieux selon certains. Est-ce que ce changement sera organique, ou nécessitera des mesures coercitives (bonus-malus)?
DB :**

Il y a toujours eu du lobbying contre les réglementations de la part des constructeurs automobiles, les mesures volontaires ça n’a jamais fonctionné. En Californie ça fait 30 ans qu’il y a une loi zéro émission et ça fait 30 ans que les constructeurs sont contre et au rythme actuel dans 30 ans ils seront encore contre. C’est une game politique, si on veut atteindre nos objectifs il faut sortir le bonus-malus, si c’est volontaire ça ne sert à rien. Je pense qu’on n’aura pas le choix pour le bonus-malus, j’en ai discuté avec les ministres de l’Environnement qui m’ont succédé. C’est une discussion qu’on a depuis 15 ans, on a présentement un malus à l’immatriculation qui est insignifiant. Si on veut atteindre nos objectifs, il va falloir réduire l’acquisition de véhicules gros et polluant. Présentement c’est le festival du VUS.

**Effectivement, on voit beaucoup de gros véhicules sur les routes aux Québec, VUS, camionnettes, etc. L’électrification peut-elle rendre cet amour des gros véhicules durables chez les Québécois?
DB :**

Je pense que pour ceux qui ont besoin d’une camionnette, en avoir une électrique ça fait du sens. En revanche j’ai vu des gens quand le Cybertruck de Tesla était sorti qui avait autant besoin d’un pickup qu’un chien de deux queues, comme disait ma mère, en commandé et mettre le dépôt pour réserver. Même si le véhicule est électrique, s’il est trop gros c’est du gaspillage économique et écologique.

**On parle beaucoup de voitures électriques, mais on parle moins des camions lourds, machineries agricoles, etc. Est-ce que la technologie avance aussi vite dans ce secteur ou est-ce que les défis techniques ne sont pas encore réglés?
DB :**

Les défis, quand on regarde des compagnies comme Lion, Girardin, NovaBus, etc. On voit que pour les autobus, camions lourds, la technologie évolue rapidement. L’autonomie a doublé en 4 ans. La densité énergétique des batteries a augmenté. Pour un autobus scolaire ou un camion de livraison urbain, c’est assez simple, petite distance, tracé fixe, recharge. Pour les camions longues distances, c’est plus complexe. On parle d’hydrogène, électrique hydrogène, etc. On s’attend à ce qu’un camion lourd, disons classe 8 puisse parcourir 600 à 800 km 100% électriques. Les enjeux de poids et densité électrique sont cruciaux, mais on s’attend à ce que ça ne soit plus un enjeu bientôt. On se projette même dans l’avenir à ce qu’on est des batteries capables de déplacer des avions, courte et moyenne distance et peut-être même longue distance! C’est stupéfiant de voir les choses évoluer.

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