Grand Dossier sur l’économie : les inégalités fiscales

**Plusieurs personnes disent que le système capitaliste actuel n’est pas un système soutenable avec la réalité écologique et humaine. L’ère de la croissance infinie et à tout prix serait-elle terminée? La décroissance est-elle vraiment une option? Dans ce premier article sur le sujet, nous explorerons la question de l’inégalité des richesses.**

Les récentes années de croissances soutenues et de plein-emploi viennent d’arriver à leur fin de manière très brutale. Stimulée par un accès au crédit facile, trop facile même, l’économie mondiale a connu une croissance presque ininterrompue pendant pratiquement une décennie entière. Les États-Unis auront vu leurs marchés boursiers se relever du cataclysme de 2008 très rapidement et les indicateurs économiques étaient tous au beau fixe. Pourtant, les gens sont insatisfaits, le taux de suicide et d’abus de drogue était en hausse1, les taux de dépression majeure aux États-Unis est de 6.7% chez les plus de 18 ans2 et les troubles d’anxiétés sont monnaies courantes touchant jusqu’à 18.1% de la population majeure chez l’oncle Sam. 2 Le contraste est donc frappant chez nos voisins du sud qui semblent pourtant connaître une période de création de richesse. Pourquoi les gens seraient-ils malheureux en pleine période de plein-emploi et d’embellie économique?
#### Un système saboté.
Un récent article du New York Times démontrait à l’aide de nombreux graphiques à quel point le système américain et donc par extension, occidental, avait abandonné la classe moyenne et les plus démunis. Depuis 1980, le PIB par habitant aux États-Unis a crû de 80%. Une hausse raisonnable qui aurait donc dû voir les citoyens américains profiter d’une hausse de leur revenu après impôts relativement similaire. Enfin, c’est ce que l’on voudrait voir dans un monde idéal. La réalité est loin d’être idéale et ne tente même pas de se camoufler. Pour les 50% des Américains les plus pauvres, une hausse modeste de 20% sur les 40 dernières années, pour la classe moyenne? Une hausse de 50%. Quelqu’un doit forcément s’enrichir, la croissance ne se fait pas dans le vide et l’argent doit atterrir dans les poches de quelqu’un. Selon les statistiques, le 0.01% le plus riche aux États-Unis a vu son revenu après impôts augmenter de 420% depuis 1980. 3 Ces informations sont déjà choquantes, mais elles ne sont que la pointe de l’iceberg pour un citoyen américain. Certes, les revenus après impôts ont augmenté plus lentement que la croissance du PIB par habitant et les riches ont vu leur part du gâteau s’agrandir immensément, mais peut-être que leur pouvoir d’achat a pu augmenter par la magie du néo-libéralisme et de la mondialisation? Malheureusement pour eux et pour nous, ce n’est pas le cas, le pouvoir d’achat du citoyen moyen n’a pas connu d’augmentation dramatique et selon certaines sources, il aurait même décliné. Certains biens ont connu une diminution de leur prix ajusté à l’inflation comme les ordinateurs et les téléphones portables, mais d’autres biens comme les logements ont vu leurs coûts augmenter de façon spectaculaire. Un autre facteur non négligeable pour expliquer cette stagnation serait la création de nouveaux biens et services « essentiels » comme les télécommunications et l’internet qui s’ajoute aux factures des consommateurs pour un salaire somme toute équivalent ou inférieur à celui de leurs parents. 4
#### Une iniquité fiscale répugnante.
Si le problème d’inégalité des richesses est un problème criant un peu partout dans le monde, il n’en reste pas moins que ce problème peut être atténué par des mesures fiscales. Plusieurs pays dans le monde et même le Québec, pour donner un exemple plus près de chez nous, réussissent à limiter ces inégalités de richesses. Le problème n’est donc pas un manque de moyens, mais plutôt un manque de volonté. Toutefois, il est facile de blâmer nos dirigeants pour l’évasion fiscale, mais il faut aussi regarder à quel point la mondialisation et l’idéologie néo-libérale ont menotté nos dirigeants sur le plan fiscal. La libéralisation des mouvements des capitaux aura permis aux multinationales de s’étendre et de gagner en influence, mais surtout aux plus grandes fortunes de déplacer leurs investissements en fonction de l’environnement fiscal et ainsi favoriser les paradis fiscaux. Ces paradis fiscaux ont vu leur utilisation augmenter considérablement depuis les années 70 et permis une évasion fiscale considérable qui appauvrit les pays de plusieurs milliards de dollars par année. Selon certaines estimations, la richesse entassée dans les paradis fiscaux s’élève à 7,6 trillions de dollars5 soit environ 10% du PIB mondial. 6 C’est un chiffre énorme, mais qui cache des disparités entre les pays selon leur volonté politique et leur capacité à lutter contre le phénomène. Certains pays comme les pays scandinaves s’en sortent bien, mais les pays d’Amérique latine souffrent énormément. Toutefois, même les pays les plus rigoureux sur le plan de la justice fiscale ne peuvent faire de miracle. Un pays comme la Norvège, par exemple, peut se targuer d’avoir une moyenne de 3% de taxes esquivées, mais cette proportion bondit à 30% pour le 0.01% le plus riche. Le système mondialiste actuel et la libéralisation des capitaux aident donc non seulement les riches à s’enrichir, mais créer aussi une iniquité fiscale répugnante favorisant de manière disproportionnée les plus riches des riches. Si l’on prend encore une fois le cas des États-Unis, la hausse des inégalités revient à une perte en moyenne de 12 000$ par année pour le 90% le plus pauvre de la population. En d’autres mots, le gouvernement américain, par ses politiques fiscales internes et internationales a fait en sorte que les 90% des Américains les plus pauvres envoient l’équivalent d’un chèque de 12 000$ par année au 10% le plus riche. 3
D’autres statistiques incroyables pourraient être inscrites dans ce texte. Le salaire des PDG qui atteint maintenant 278 fois le salaire de leur employé moyen. Ou encore la hausse disproportionnée des salaires des dirigeants de 1000% sur les 40 dernières années en comparaison avec le maigre 12% du travailleur moyen. 7 Ces statistiques sont choquantes, mais elles doivent être connues du grand public pour qu’un vent de changement se lève. Toutefois, avant de crier révolution et de vouloir jeter le système économique mondial à la poubelle, il faut se demander quels sont les changements possibles et désirés. C’est ce que nous explorerons ensemble dans le prochain article du Grand dossier économique.

  1. CNN, Susan Scutti. « US suicide rates increased more than 25% since 1999, CDC says ». CNN. Consulté le 12 avril 2020. https://www.cnn.com/2018/06/07/health/suicide-report-cdc/index.html.
  2. « Facts & Statistics | Anxiety and Depression Association of America, ADAA ». Consulté le 12 avril 2020. https://adaa.org/about-adaa/press-room/facts-statistics.
  3. Leonhardt, David, et Yaryna Serkez. « Opinion | America Will Struggle After Coronavirus. These Charts Show Why. » The New York Times, 10 avril 2020, sect. Opinion. https://www.nytimes.com/interactive/2020/04/10/opinion/coronavirus-us-economy-inequality.html.
  4. Elkins, Kathleen. « How Much Millennials Earn, Compared to What Their Parents Made at the Same Age ». CNBC, 19 septembre 2019. https://www.cnbc.com/2019/09/19/how-much-millennials-earn-compared-to-their-parents.html.
  5. « The Wealth Detective Who Finds the Hidden Money of the Super Rich ». Bloomberg.Com, 23 mai 2019. https://www.bloomberg.com/news/features/2019-05-23/the-wealth-detective-who-finds-the-hidden-money-of-the-super-rich.
  6. Costa, Pedro Nicolaci da. « The ultrawealthy have 10% of global GDP stashed in tax havens — and it’s making inequality worse than it appears ». Business Insider. Consulté le 16 avril 2020. https://www.businessinsider.com/wealthy-money-offshore-makes-inequality-look-even-worse.
  7. Cox, Jeff. « CEOs See Pay Grow 1,000% in the Last 40 Years, Now Make 278 Times the Average Worker ». CNBC, 16 août 2019. https://www.cnbc.com/2019/08/16/ceos-see-pay-grow-1000percent-and-now-make-278-times-the-average-worker.html.
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