L’importance de la gestion de l’offre

**La gestion de l’offre est malmenée depuis quelques années par les gouvernements qui se succèdent à Ottawa. En effet, chaque nouvel accord semble ouvrir une autre brèche dans un système indispensable pour nos producteurs, mais aussi pour notre économie. C’est particulièrement le cas au Québec. **

L’ACEUM, l’accord de libre-échange avec l’Europe et tout nouveau Partenariat transpacifique (PTPGP) ont tous quelque chose en commun, mais ce n’est peut-être pas ce que vous pensez. En effet, même si ces accords sont signés avec des acteurs et partenaires fort différents, ils ont tous en commun de créer une brèche dans la gestion de l’offre et d’ouvrir un marché jusque-là protégé à la concurrence mondiale. Dans tous ces cas, Ottawa a certes garanti des compensations aux producteurs touchés, mais le mal est fait. Plusieurs voient dans la signature de ces traités un point de non-retour qui pourrait changer drastiquement l’allure de nos fermes et la vie de nos producteurs. Pourtant, la gestion de l’offre est une politique assez populaire au Canada et presque unanimement supportée au Québec.
#### La gestion de l’offre rapidement.
La gestion de l’offre est un système établi par le gouvernement canadien dans les années 70 s’appuyant sur 3 piliers : les prix, l’offre et le contrôle des importations. Le prix est déterminé en fonction des coûts de production, qui sont au-dessus du prix mondial, d’où l’existence du pilier sur le contrôle des importations qui régule la quantité de produits soumis à la gestion de l’offre (lait, œufs, volailles, etc.) qui peuvent être importés grâce à un contingent tarifaire. Pour être bref, une quantité de chaque produit sous gestion de l’offre est déterminée à chaque année à un tarif très bas. Par exemple 20 000 tonnes de fromage pourront être importées au Canada sous des tarifs très bas, mais une fois ces 20 000 tonnes dépassées, une barrière tarifaire pouvant dépasser 200% est imposée aux fromages importés. Cette barrière tarifaire permet de réguler l’offre et d’accorder des quotas de production basés sur la demande nationale (moins les importations) qui sont ensuite distribués aux provinces. Le système fonctionne bien, mais repose sur un équilibre très fragile dépendant de ces 3 piliers, mais surtout du contrôle des importations. En effet, sans contrôle des importations, les producteurs sont contraints de produire au coût mondial, ce qui détruit le premier pilier, et ne peuvent plus savoir combien de quotas acheter, car les citoyens ne sont évidemment pas rationnés sur leur consommation de lait. On réalise vite que sans un contrôle strict des importations, la gestion de l’offre s’effondre.
#### Une prise de risque inutile?
C’est pourquoi les brèches répétées dans le contrôle des importations rendent les producteurs nerveux, car leur gagne-pain et leurs investissements se retrouvent en danger. Chaque litre de lait supplémentaire qui peut entrer au Canada a un impact sur le système, surtout sur le pilier du prix, qui peut aller à la baisse avec la hausse des importations, mais aussi sur le prix des quotas, qui peut potentiellement aller à la hausse. Un coup dur pour les plus petites fermes et les fermes familiales qui sont très nombreuses sur le territoire québécois notamment en raison de la gestion de l’offre. La gestion de l’offre au Québec protège une industrie représentant : 6513 fermes familiales, 116 000 emplois, 8,7 milliards de dollars dans le PIB québécois et 2,1 milliards de retombées fiscales annuelles. 1 Pas étonnant que la classe politique québécoise soit unanime dans sa défense de la gestion de l’offre et que l’UPA en fasse son cheval de bataille. L’enjeu est énorme pour le Québec et ses producteurs et plusieurs se demandent si les risques pris par Ottawa en signant ses accords en valent vraiment la chandelle. Dans la situation actuelle, le Québec n’est clairement pas gagnant, mais la situation est moins claire pour le reste du Canada, car l’Ontario aussi souffre de ces politiques.
#### Un impact plus difficile à chiffrer.
On connait très bien la valeur économique et fiscale directe que la gestion de l’offre amène, mais la valeur socio-économique de cette dernière est plus subtile. Néanmoins, il est possible d’en parler et de mettre de l’avant les nombreux impacts socio-économiques de cette politique. Il faut d’abord comprendre que la gestion de l’offre permet aux producteurs de plus petite taille de survivre et de conserver une partie de notre patrimoine avec les fermes familiales. Un patrimoine qui disparaîtrait sans la gestion de l’offre, car pour rivaliser avec le prix mondial, il faudrait une densification des fermes pour atteindre une optimisation des coûts de production. Cette densification verrait une perte de certaines petites fermes, une augmentation des élevages intensifs que l’on peut voir aux États-Unis, mais aussi un potentiel drainage des fermes régionales. En effet, puisque le prix offert à la ferme est fixe, les transformateurs doivent payer un prix unique aux producteurs. Ce faisant, l’incitatif pour centraliser la production dans les grands centres est fortement réduit, l’existence et la réussite des fermes régionales sont favorisées. Ainsi, la gestion de l’offre se révèle être un outil puissant de développement régional permettant la création de chaînes de valeur régionales dans des domaines spécialisés qu’on n’aurait pas vu sans la présence de producteurs dans les régions. 2 Des emplois qui auraient dû être créés, autrement, probablement à grand coup de subventions onéreuses et moins efficaces. Il me semble alors évident que ce système doit être maintenu et que le gouvernement du Canada doit cesser de fragiliser ce système dont dépendent plusieurs milliers de personnes.
#### Un peu de cohérence svp.
Les questions entourant la gestion de l’offre sont nombreuses à la suite des récents accords et particulièrement de l’ACEUM. L’incertitude plane et les récentes décisions d’Ottawa laissent les producteurs sur leur faim. L’association des transformateurs laitiers et les producteurs laitiers du Canada vont même jusqu’à dire qu’ils ont été induits en erreur par Justin Trudeau, suivant sa décision de faire entrer en vigueur l’ACEUM bien plus tôt que prévu. En faisant cela, Ottawa envoie un choc supplémentaire à une industrie déjà fragilisée, mais il prive aussi les producteurs et les transformateurs d’une période d’adaptation fort importante. L’accord aurait dû être ratifié le 1er août, soit à la date de début du cycle laitier. Or, en ratifiant l’accord maintenant, les nouveaux seuils s’appliquent immédiatement et on passe directement au seuil de deuxième année lors du 1er août. C’est particulièrement vicieux. On s’imagine très bien que cette décision fût prise après des pressions fortes du gouvernement américain. Il n’empêche que cette décision coûtera environ 100 millions de dollars et entraînera une réduction de 40% des exportations du secteur laitier au Canada. 3 Tout ça dans un contexte déjà pénible pour nos producteurs où l’aide tarde à venir et pendant qu’on parle ad nauseam d’acheter local, de manger local et d’encourager l’économie d’ici. Cette dissonance ne peut que nuire et aggraver encore plus les nombreux problèmes de relève agricole. Il faut donc demander du leadership et se ranger derrière l’UPA au sujet de la gestion de l’offre, en demandant fermement la fin des concessions gouvernementales sur cette dernière. Rien ne les justifie. 4

  1. Le Soleil. « Front commun pour défendre la gestion de l’offre », 31 août 2018. https://www.lesoleil.com/actualite/elections-2018/front-commun-pour-defendre-la-gestion-de-loffre-9bf8709b40ce4a64611224df014e7b58.
  2. Groleau, Marcel. « ALENA : finies les concessions dans la gestion de l’offre! » L’Union des producteurs agricoles – UPA, 6 juin 2018. https://www.upa.qc.ca/fr/textes-dopinion/2018/06/alena-finies-les-concessions-dans-la-gestion-de-loffre/.
  3. « Mise en œuvre de l’ACEUM : le secteur laitier aussi a été induit en erreur par le gouvernement fédéral | Les producteurs laitiers du Canada ». Consulté le 6 mai 2020. https://producteurslaitiersducanada.ca/fr/mise-en-oeuvre-de-laceum-le-secteur-laitier-aussi-ete-induit-en-erreur-par-le-gouvernement-federal.
  4. « Pourquoi il faut sauver la gestion de l’offre ». Consulté le 5 avril 2020. https://www.lesaffaires.com/blogues/francois-normand/pourquoi-il-faut-sauver-la-gestion-de-l-offre/604663.
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