La grande séduction d’Erin O’Toole

**Après une course à la chefferie discrète et un dévoilement des résultats catastrophique, Erin O’Toole semble s’être donné comme mission de séduire l’électorat plus modéré des autres provinces et du Québec. Avec une base déjà solide et un gouvernement très dépensier, pourrait-il atteindre le pouvoir rapidement?**

Son accession à la chefferie du Parti Conservateur était une surprise pour plusieurs et ses positions sociales inquiétaient les conservateurs plus près de la branche progressiste. Toutefois, ses premières prises de position auront su rassurer plusieurs observateurs et séduire certains nationalistes québécois ne se reconnaissant pas dans le Bloc Québécois ou l’indépendance. Son parti doit jongler avec une division régionale de plus en plus importante et des tensions provinciales envenimées par un gouvernement refusant de prendre position de manière décisive. D’un côté, les provinces de l’ouest désireuses d’exporter leurs ressources naturelles, principalement le pétrole albertain avec un réseau de pipeline tant à l’est qu’à l’ouest. De l’autre, le Québec et la Colombie-Britannique refusant catégoriquement le passage d’un pipeline et une population fortement environnementaliste.
#### Ménager la chèvre et le chou.
Il faut donc que le Parti Conservateur réussisse un véritable grand écart s’il veut l’emporter contre Justin Trudeau et le Parti Libéral. Il doit réussir à maintenir une base suffisamment solide dans l’ouest pour assurer le balayage, mais percer au Québec et en Ontario qui ont des intérêts bien souvent contradictoires et qui sont moins réceptifs aux Conservateurs depuis la fusion. Non seulement cela, mais Erin O’Toole doit arrêter l’hémorragie au Québec et voler des sièges à un Bloc Québécois solide profitant d’un capital de sympathie considérable. Ce faisant, il doit y aller de proposition significative envers le Québec comme l’impôt unique, l’abandon d’un pipeline au Québec, la reconnaissance de la nation québécoise et plus encore. Rien pour alléger les frustrations de l’Alberta qui voit le Québec comme le chouchou de la fédération.
#### Une suite logique.
L’ascension au pouvoir des Conservateurs à Ottawa semble une suite logique du mouvement politique que l’on voit au niveau des provinces. En effet, le Nouveau-Brunswick vient d’élire un gouvernement conservateur majoritaire, Doug Ford pilote d’une poigne de fer l’Ontario avec des sondages lui donnant une popularité considérable et finalement, le Québec avec un gouvernement caquiste nationaliste et plus proche idéologiquement et économiquement des conservateurs fédéraux. Seule la Colombie-Britannique semble échapper à ce mouvement avec des sondages très favorables envers le NPD.
#### L’alternative « responsable »
Le Canada peut se permettre un plan d’intervention majeure pour contrer les effets de la Covid-19, mais Justin Trudeau semble vraiment vouloir tester les limites lorsqu’on le voit annoncer des dépenses et des programmes gargantuesques sortant des champs de compétences du fédéral. Tout cela, sans avoir de véritable plan de retour à l’équilibre budgétaire. Cette situation n’est pas rassurante pour la grande majorité des Canadiens qui voient des déficits historiques frisant les 400 milliards de dollars en plus des déficits provinciaux.
Non seulement les déficits et la gestion de la pandémie par le gouvernement Trudeau font l’objet de critiques valides, mais les Libéraux sont aussi aux prises avec des scandales éthiques, une prorogation du parlement difficilement justifiable et un front commun des provinces hautement insatisfaites par le discours du trône, la tendance de Trudeau à s’ingérer dans les compétences provinciales et des programmes sociaux parfois nuisibles à l’économie de plusieurs provinces.
Les Conservateurs peuvent donc se présenter comme une alternative raisonnable et responsable pour la suite de la crise et la reprise économique. Une vision plus modeste du gouvernement fédéral et plus respectueuse des compétences provinciales. Cette élection pourrait être un moment charnière dans l’histoire canadienne. D’un côté, un Canada poursuivant sa route vers la centralisation des pouvoirs à Ottawa, des dépenses et des déficits pour des années à venir. De l’autre, un Canada plus décentralisé, ou stable et un contrôle plus serré des dépenses publiques.
#### Le pouvoir est à sa portée.
La situation actuelle rend l’accession au pouvoir de Erin O’Toole possible à mon avis, car il se retrouve avec plusieurs arguments massue qu’il peut répéter pendant la campagne électorale ad vitam aeternam et marteler pendant les débats. Trudeau pourra difficilement défendre son bilan éthique après deux condamnations par le commissaire à l’éthique et une troisième enquête qui aura été grandement ralentie par la prorogation du parlement. D’un autre côté, les électeurs auront peut-être tendance à vouloir une stabilité en cette période de crise. Il faudra convaincre les nationalistes québécois de larguer le Bloc. Une tâche difficile dans une élection où un gouvernement minoritaire est encore une grande probabilité. L’argument du pouvoir plutôt que de l’opposition sera moins efficace…
Je serai certainement un observateur intéressé par la stratégie du Parti Conservateur pendant la prochaine campagne électorale. Une campagne que je prévois très compétitive et très agressive. Les partis ne sont pas dupes, les électeurs non plus. Tous les acteurs impliqués réalisent l’importance de cette élection pour l’avenir du Canada et le chemin qu’il empruntera.