La réhabilitation de l’État-nation

**La récente épidémie du coronavirus aura révélé les limites et les faiblesses d’une mondialisation galopante et de l’évaporation lente, mais certaine, du concept de frontière et d’état souverain. Devant la crise, les citoyens ont vite réalisé l’utilité, la nécessité de maintenir un contrôle sur leurs frontières et d’éviter une dépendance imprudente envers les autres pays. **

S’il y a bien un point positif à cette pandémie, c’est qu’elle fait réfléchir et remet les choses en perspective. L’Union européenne déjà victime d’une crise de confiance majeure à la suite du Brexit et à la crise des réfugiés syriens s’est vu assénée un coup brutal par l’épidémie. L’Allemagne, nation dominante de l’union et défenseure invétérée d’une plus grande coopération et ouverture européenne au détriment de la souveraineté nationale s’est vue obligée de fermer ses frontières avec la France, la Suisse et l’Autriche. Le Portugal ferme ses frontières avec l’Espagne et l’UE semble complètement incapable de répondre à la crise de manière coordonnée. Cette pandémie pourrait s’avérer être le clou dans le cercueil de plusieurs partisans du concept d’état postnational s’identifiant comme Européens avant tout. La fermeture des frontières rappelle à plusieurs la justification stratégique et sécuritaire de ces dernières alors que les récentes crises avaient fait percevoir au public qu’elle ne causait que souffrances et préjudices. Le concept de frontière avait perdu énormément d’attrait et de popularité au cours des dernières années en raison de la mondialisation croissante et d’une hausse globale du tourisme et de l’immigration un peu partout dans le monde. La technologie moderne nous permettant de voyager d’un bout à l’autre du globe en un temps record, les contrôles frontaliers, la paperasse et les tarifs imposés aux marchandises semblaient provenir d’une autre époque. Ces mêmes frontières semblaient être la cause de plusieurs malheurs et apporter très peu de bénéfices. On commençait même à discuter leur abolition purement et simplement dans certaines sphères plus extrêmes, mais tout de même influentes. Le mouvement était en marche et l’Europe menait la charge. Malgré quelques problèmes structurels, la plupart s’entendaient pour dire que le résultat était globalement positif. La crise migratoire et le Brexit ainsi que la crise financière en Grèce auront tôt fait de semer le doute chez les moins convaincus. On commençait à voir certains risques à céder une partie de sa souveraineté chez certains.
La crise économique et financière de 2008 avait déjà commencé à saper l’idéal de la mondialisation économique. Une crise américaine née de l’irresponsabilité des politiciens et dirigeants américains s’était propagée à la planète entière, entraînant à terme, la crise de l’Euro et la faillite de la Grèce. Cette faillite aura d’ailleurs servi d’avertissement et de carburant pour les nationalistes qui observèrent avec stupeur le traitement de la Grèce par l’Union européenne et l’Allemagne. Dépouillée de ses pouvoirs monétaires et donc de sa souveraineté économique, la Grèce s’embourbera dans l’austérité, devant pratiquement se prostituer devant l’Allemagne et les membres de l’UE pour survivre. Certes, la Grèce aurait fini par succomber à sa mauvaise gestion, à la corruption et aurait dû faire des choix déchirants à un certain moment, mais leur incapacité à altérer leur politique monétaire aura accélérée l’arrivée de la crise et augmenté son impact sur leurs citoyens selon moi. Cette monnaie commune qui devait faire la force de l’Union et être son pilier central se révélera comme étant un fabuleux instrument de pouvoir pour les membres influents, mais un sérieux obstacle à plusieurs autres pays comme l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Ces trois pays auront appris à la dure que de céder leur indépendance monétaire et le pouvoir de changer leurs taux d’intérêt et de dévaluer leur monnaie avait un prix. Ces trois pays auront souffert inutilement pendant la crise de l’euro et la crise financière et c’est principalement la population de ces pays qui en aura souffert pendant que cette monnaie commune aura profité aux exportateurs, importateurs et compagnies multinationales. Ces pays se sont retrouvés menottés et impuissants face aux supplications de leur propre population en raison d’accords brimant leur souveraineté.
Certains pourraient toujours répondre que la crise de l’Euro est un cas isolé et que l’UE a appris de ses erreurs. Certes, c’est une possibilité bien réelle, mais qui se base sur des suppositions et la bonne foi de nos partenaires. Le risque est grand et les conséquences potentiellement désastreuses si l’on se trompe. Feriez-vous vraiment confiance aux États-Unis et à Donald Trump d’avoir les meilleurs intérêts du Canada et de ses citoyens à cœur en cas d’une union nord-américaine? Permettez-moi d’en douter. L’hypermondialisation aura eu son lot de points positifs, mais il convient de revenir sur l’héritage de cette ouverture rapide des marchés mondiaux. L’ouverture aux marchés aura réduit grandement la pauvreté dans le monde et permis à plusieurs pays de se développer plus rapidement. Les inégalités de richesse globale entre les pays ont diminué, mais les inégalités à l’intérieur des pays ont augmenté massivement. On aura assisté à une hausse incroyable des échanges et une période de croissance soutenue, mais aussi à une crise financière globale et la normalisation de l’évitement fiscal. D’autres parts, plusieurs pays auront vu des changements radicaux dans leur structure économique, fiscale et diplomatique. La Chine aura su profiter de la situation pour devenir une puissance mondiale alors que d’autres pays comme la Russie et l’Iran se sont retrouvés isolés de la communauté internationale. Les pays se sont retrouvés pour la plupart à devenir interdépendants économiquement et vulnérables à une disruption des échanges. Les chaînes d’approvisionnement se sont internationalisées et les marchandises ont dû voyager de plus en plus loin pour atteindre leur destination finale. Les signaux étaient omniprésents, l’économie et la sécurité des citoyens de la planète dépendaient d’un équilibre fragile, impossible à maintenir de manière ininterrompue à long terme. Une guerre, une crise climatique ou encore une pandémie, comme actuellement, allait à coup sûr affaiblir ou même détruire cet écosystème.
Ce qui devait arriver arriva et récemment une pandémie frappa de plein fouet le monde en ayant comme foyer la Chine, usine du monde et centre d’approvisionnement des compagnies les plus riches et puissantes. La tempête parfaite pour mettre à genoux une économie déjà fragile par des mesures de stimulation monétaire, une croissance dopée par l’endettement et une mondialisation impossible à soutenir. Les bourses ont plongé rapidement et remontées péniblement après des mesures de stimulations gargantuesques et les citoyens de partout réclament des mesures sévères de leur gouvernement notamment sur la question de la gestion des frontières. Un retournement prévisible, mais néanmoins brutal à la lumière du discours public des politiciens ces dernières années. Face à la crise, les citoyens réalisent qu’ils cherchent chez leurs dirigeants et leur nation le réconfort et la protection que seul un état possédant tous ses pouvoirs peut leur offrir. Sans le vouloir et sans le savoir, les citoyens du monde ont peut-être changé le paradigme mondial qui s’éloignait de l’idée d’État-nation et d’état westphalien. Ils ont peut-être ramené à l’ordre du jour l’idée que la souveraineté de la nation prévaut et doit prévaloir sur les intérêts internationaux. Le rôle de dirigeant qui se rapprochait de plus en plus de celui d’un gestionnaire financier à la maison et d’un vendeur à l’étranger semble s’être retourné très rapidement lorsque les gens ont senti le danger. Les gens ont voulu qu’on les protège en priorité, que l’état se soucie d’eux en premier lieu et non pas les intérêts étrangers à l’intérieur des frontières et les grandes compagnies étrangères installées artificiellement sur leur territoire. Les actionnaires réalisent maintenant la fragilité de leurs investissements et plusieurs compagnies parlent déjà de recentrer leurs opérations pour éviter des crises d’approvisionnement comme le monde vit actuellement. La mondialisation est un géant aux pieds d’argile que la réalité du monde érode lentement, mais surement. La pandémie n’est que la plus récente vague et n’est probablement pas la dernière. Il sera intéressant de voir si ce changement et ces réalisations s’inscrivent dans une tendance à long terme ou si l’appât du gain saura convaincre les gens que le risque en vaut la chandelle et que les bénéfices surpassent les coûts et les dangers.

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