La tentation centralisatrice

**Justin Trudeau aura réussi à se mettre la classe politique du Québec encore plus à dos après une récente « suggestion » sur les CHSLD. Un autre signe que la tentation centralisatrice reste très forte chez le premier ministre qui semble avoir appris quelques trucs de son défunt père Pierre-Elliot Trudeau…**

La phrase est dite dans la plus grande désinvolture, comme si Trudeau ne comprenait pas la portée de ses paroles, mais elle cause une déflagration au Québec et l’indignation en Ontario : « Peut-être qu’on pourrait avoir une réflexion [à savoir] si nos résidences pour aînés devraient faire partie du système de santé et soient régies sous la Loi canadienne sur la santé ». Une phrase qui ouvre la porte à une intervention du fédéral dans un champ de compétence provincial particulièrement important et protégé jalousement par les provinces depuis les débuts de la fédération. D’ailleurs, François Legault n’aura pas attendu avant de répliquer fermement au premier ministre fédéral citant la disparité entre ce qu’Ottawa devrait payer avec les transferts fédéraux en santé et ce qu’Ottawa paie vraiment. « Quand le système de santé a été mis en place, le gouvernement fédéral finançait 50% », a dit François Legault en déplorant que l’apport d’Ottawa soit depuis passé à 23%. Comment expliquer une telle chute dans le financement d’un des services les plus importants au pays et surtout, comment le justifier au moment où le gouvernement fédéral se pavane comme étant progressiste et investissant dans la population canadienne comme jamais avec les déficits pour le prouver? Il semble qu’il y ait donc un écart considérable entre ce que le fédéral dit et ce que le fédéral fait.
#### Pas la première tentative.
Il faut dire que cette déclaration s’inscrit dans une vision centralisatrice de la santé qui semble être très populaire à Ottawa depuis environ 25 ans. En effet, en 1995 la réforme sur les transferts fédéraux combinant plusieurs transferts en un seul. Ottawa envoyait déjà un signal fort que le gouvernement fédéral allait chercher à réduire son engagement financier dans le domaine de la santé. Finalement, il n’aura fallu que 9 ans pour que les provinces demandent un peu plus de transparence pour un ministère aussi crucial. En 2004, le fédéral et les provinces, par souci de transparence et pour favoriser la responsabilisation des acteurs concernés, divisent le fameux TCSPS en deux pour former les transferts fédéraux en santé (TCS) que nous connaissons aujourd’hui et les transferts canadiens en matière de programmes sociaux (TCPS). 1 Par la suite, le gouvernement fédéral a commencé à instaurer quelques clauses liées au financement pour atteindre des buts établis par. Une ingérence qui est passée un peu plus inaperçue que ce qui aurait été souhaitable selon moi. Le dernier exemple de cette ingérence se présente lors des plus récentes négociations sur le financement de la santé sous Justin Trudeau en 2017. En effet, après une proposition initiale du fédéral faisant passer la hausse des TCS de 6% à 3.5% sur 5 ans plus une enveloppe budgétaire dédiée aux soins à domicile et en santé mentale de 11.5 milliards sur 10 ans qui a été refusée par les provinces2, la ministre de la santé fédérale Jane Philpott débute une stratégie jusqu’à présent jamais vue pour les TCS : la négociation individuelle par province. Stratégie brillante qui prouvera encore une fois que le dicton « diviser pour mieux régner » s’applique à merveille dans la confédération canadienne, car le fédéral versera finalement encore moins d’argent aux provinces que ce qui était prévu dans l’offre initiale3 tout en conservant cette porte d’entrée dans la santé avec les enveloppes sur la santé mentale et les soins à domicile.
#### Un précédent dangereux.
Les plus récentes négociations ont donc créé deux précédents que l’on pourrait qualifier de dangereux. Premièrement, les négociations province par province ouvrent la porte à des variations plus grandes de la qualité des soins de santé au Canada. Les provinces plus pauvres comme la Nouvelle-Écosse où le Nouveau-Brunswick risquent d’être celles qui souffrent le plus de cette nouvelle méthode. Ensuite, il faut bien réaliser l’importance de cette enveloppe sur la santé mentale et les soins à domicile qui est, dans les faits, une intrusion flagrante du fédéral dans une compétence provinciale. C’est une façon pour Ottawa de mettre un pied dans la porte et de justifier de futures enveloppes ciblées pour réduire petit à petit l’autonomie des provinces dans le domaine de la santé, mais aussi de justifier une plus grande en santé, car les provinces en manque de financement ne pourront plus fournir la même qualité de service qu’auparavant. Il est important de noter que le Québec a réussi à se soustraire à l’obligation du fédéral de dépenser l’enveloppe sur les soins à domicile et la santé mentale après un long bras de fer entre Gaétan Barette et madame Philpott. Il n’en reste pas moins que ces deux précédents ouvrent la porte à une augmentation des confrontations entre le Québec et Ottawa sur la santé. D’un côté, Ottawa cherchera à asseoir son autorité sur toutes les provinces et de l’autre, le Québec tentera de résister et de conserver son autonomie.
Voilà donc pourquoi les propos du premier ministre canadien ont déclenché une telle réaction à Québec, mais aussi pourquoi je ne crois pas un seul mot de sa rétraction sur le sujet. Il n’a peut-être pas l’intention de centraliser complètement le système de santé sous son règne, mais les actions de son gouvernement prouvent que le fédéral cherche à se faufiler et prendre de plus en plus de place et à centraliser encore plus les pouvoirs à la Chambre des communes au détriment des provinces et de la constitution. La tentation centralisatrice est forte lorsqu’on est au pouvoir à Ottawa et il est important pour les provinces et particulièrement le Québec d’être vigilant à cet égard et surtout d’être conscient de la bataille qui se joue dans le domaine de la santé. Il n’est pas rare que le fédéral profite d’une crise pour s’accaparer des pouvoirs jusqu’alors provinciaux, mais il ne faudrait pas que ça devienne un mécanisme acceptable et inévitable.

  1. Canada, Ministère des Finances. « Historique des transferts en matière de santé et de programmes sociaux ». aem, 1 janvier 2000. https://www.canada.ca/fr/ministere-finances/programmes/transferts-federaux/historique-transferts-sante-sociaux.html.
  2. Haye, Dominique La. « Pas d’entente entre les provinces et le fédéral sur les transferts en santé ». Le Journal de Québec. Consulté le 27 avril 2020. https://www.journaldequebec.com/2016/12/19/rencontre-sur-la-sante-a-ottawa-quebec-menace-de-quitter-les-negociations.
  3. « IRIS | L’évolution du « Transfert canadien en matière de santé » : des gagnants et des perdants ». Consulté le 26 avril 2020. https://iris-recherche.qc.ca/blogue/l-evolution-du-transfert-canadien-en-matiere-de-sante-des-gagnants-et-des-perdants.