**L’immigration est un sujet sensible au Québec en raison de son statut de minorité francophone au Canada et de nation francophone d’Amérique du Nord. Les efforts pour protéger la langue française ont toujours été associés à un contrôle étroit du flux migratoire. D’aussi loin que René Levesque, le Québec a su prendre ses responsabilités et réussi à aller chercher des pouvoirs supplémentaires du fédéral pour protéger sa langue et sa culture. Or, ce désir de protection s’est souvent vu pointé du doigt comme un geste de fermeture. Sentiment accentué par le discours de certains chroniqueurs et candidats année après année. **
Force est de constater que la question de l’immigration divise la classe politique et la population. Cette division s’est, au fil du temps, transformée en véritable fossé idéologique se jouant pratiquement sur un seul sujet : les seuils d’immigration. Personne ne nie l’importance pour le Québec de pouvoir établir ses seuils d’immigration et l’impact que ces seuils peuvent avoir sur la démographie, l’économie et le portrait linguistique du Québec. Toutefois, réduire le débat de l’immigration à la simple fixation de seuils choisis arbitrairement ne peux qu’empoisonner le débat public et lui retirer tout substance.
L’immigration au Québec étant un sujet complexe par la nature politique et linguistique particulière de notre nation, il est vain de vouloir, et mensonger de prétendre que l’on peut résumer la question à un chiffre. La question de la francisation, de la maîtrise du français lors de la sélection, de la répartition des immigrants et travailleurs étrangers sur le territoire devraient occuper une bien plus grande place dans le débat public. Malheureusement, le manque d’informations favorise un espace médiatique et politique malsain où la surenchère entourant les seuils est monnaie courante. La question migratoire devient une course vers le bas pour certains partis et une course vers le haut pour les autres, comme si la vie des nouveaux arrivants n’était qu’un chiffre comptable au bas d’une page. Cette vision déshumanisante de l’immigration amène à des dérives désolantes que l’on peut encore penser limitées aux radicaux, mais qui dans les faits, aura été instrumentalisée par la CAQ lors des élections et démontrée lors du fiasco de la réforme du PEQ de Simon Jolin-Barette.
Il est vrai que dépolitiser la question de l’immigration est impossible, car la nature même de la question amène à la subjectivité et à des différences idéologiques. Il faut donc effectivement que le gouvernement élu soit celui qui prenne les décisions et défende ces dernières. Toutefois, il est complètement saugrenu de critiquer l’idée d’instaurer un observatoire de l’immigration et de l’intégration visant à offrir des informations et des chiffres clairs sur la situation migratoire au Québec. Personne ne critiquerait le gouvernement car il demande l’avis d’experts en environnement pour fixer ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre et personne ne critique le gouvernement lorsqu’il écoute la santé publique en situation de pandémie. Évidemment, la politique en elle-même s’appuie sur une vision du monde et de l’être humain, mais prétendre que la société se porterait mieux si les politiciens prenaient les décisions sans consulter l’avis d’experts pour mieux cerner les politiques qui embrassent leur vision de la société est mensonger et dangereux. La société ne serait pas plus avancée si les politiciens décidaient du budget et de leur plateforme économique sans avoir reçu la confirmation d’économistes que leur plateforme ne causerait pas plus de pauvreté que le statut quo.
Être un leader et un bon dirigeant, c’est aussi savoir prendre un peu de recul et écouter les gens autour de soi. Jacques Parizeau n’est pas un moins bon dirigeant du OUI parce qu’il a su écouter ses conseillers et laisser plus de place à Lucien Bouchard.
Sylvain Gaudreault n’est pas un moins bon candidat à la chefferie parce qu’il veut avoir de meilleures informations pour prendre la meilleure décision pour le Québec. Je n’ai pas vu de chroniqueur s’insurger que Paul St-Pierre Plamondon cherchait à se décharger de la question budgétaire et économique lorsqu’il a demandé la création du poste de directeur parlementaire du budget.
D’où vient donc cette résistance contre la création d’un observatoire pour l’immigration et l’intégration? Elle vient de gens qui ont tout intérêt à ce que les Québécois ne soient pas informés sur la question pour avancer leur idéologie et leur vision de l’immigration. Elle vient de gens qui ont avantage à ce que l’immigration reste une arme politique obscure, car il devient facile de la diaboliser ou de la rendre impossible à critiquer. L’ironie étant que ceux se prétendant les plus près du peuple sur la question et promettant des réductions drastiques sans s’être appuyés sur de vraies données seront les mêmes à diaboliser un parti qui utiliserait ce même manque d’information pour hausser les seuils drastiquement quelques années plus tard. Pendant ce temps, l’intégration et la francisation battent de l’aile, les communautés immigrantes souffrent d’un taux de chômage plus grand et des milliers d’immigrants se retrouvent à devoir faire un travail médiocre, car leur diplôme que l’on avait promis de reconnaître n’est pas reconnu par les ordres professionnels de la province. La création d’un tel observatoire ne réduit donc pas la responsabilité du politique, mais elle renforce plutôt la crédibilité des décisions prises par ce dernier et offre du soutien aux dirigeants pour qu’ils puissent prendre la meilleure décision pour tous les Québécois, pour la nation québécoise dans son ensemble et permet de ne pas verser dans le chantage et le dérapage populiste. Elle forcera aussi les dirigeants à s’expliquer face à leur choix et à défendre leur vision de la société face à une population informée et disposant des informations pour juger l’action dirigeante.
La démocratie ne peut fonctionner que lorsque la population dispose des informations essentielles à la prise de décisions. Il faut être informé pour prendre des bonnes décisions et pouvoir évaluer les politiques mises en place par nos dirigeants. Nous votons pour que les dirigeants mènent la nation à bon port selon notre vision de la société, mais il n’est pas souhaitable, ni envisageable, que ces dirigeants prennent ces décisions fondamentales sans avoir les informations les plus précises à leur disposition. Sans cela, notre société et notre nation avance en se couvrant les yeux et en espérant ne pas frapper un mur. La politique ne se fait pas à coup de baguette magique et pour cette raison, j’appuie la création d’un observatoire indépendant sur l’immigration et l’intégration.